Musique de Brahms, Deutsches Requiem, des décombres surgit le corps meurtri d’un Pierrot à peine reconnaissable dont la voix de douleur raconte l’histoire d’un pays disparu. La musique se fait atonale et une autre voix, féminine, invite le peuple à rêver. En fond sonore, on entend les pales d’un hélicoptère. L’aède reprend la parole pour tenter de poursuivre son récit et s’interrompt brutalement. La lumière de la salle se rallume et vient écraser toutes les perspectives précédentes. Les deux comédiens se demandent alors comment continuer la répétition sans le metteur en scène, Heiner Müller, et chacun comprend qu’on est en pleine répétition.
En fond de scène, à cour, un bureau sur lequel s’empilent des papiers, des livres… Sur scène, des éléments en bois (cubes et rectangles de tailles différentes) qui permettent de structurer l’espace au gré des configurations spécifiques à chaque scène. A jardin, devant la scène, le musicien. La scène présente à la fois des éléments structurant l’espace et demeure dans l’informe d’un état de répétition.
Nous assistons à une répétition et les comédiens passent de manière labile et discrète d’un rôle à l’autre. Le spectateur ne sait pas toujours immédiatement identifier les moments de passage d’un personnage à l’autre. Cette intrication des voix, des personnages, – il suffit parfois d’un simple élément, une paire de lunettes, un élément vestimentaire, une légère modification spatiale ou tonale,- crée un flou sur les époques, les perspectives, les points de vue, et oblige chacun à « reconstruire » la signification d’un spectacle approprié à ses propres interrogations. Chaque spectateur construit son interprétation en fonction de son horizon intellectuel, idéologique, esthétique.

Les deux comédiens s’affairent, soit qu’ils installent des éléments de décor, soit qu’ils préparent les conditions d’une scène, recherchent des éléments textuels, commentent des images ou des extraits sonores… Certaines scènes sont comme des médaillons déjà achevés (notamment les scènes de l’été 89) et profitent d’un éclairage travaillé. D’autres sont à l’état de recherche, d’étape de travail. C’est la lumière qui prend en charge, de manière discrète encore, les passages d’une scène à l’autre… Le décor est en transformation constante. Tous les éléments sont mobiles et autorisent de multiples variations. La limite entre salle et scène est sans cesse transgressée, au point que parfois le « spectacle » se joue davantage dans la salle tandis que la scène reste vide : ce vide est-il celui d’un avenir à construire ? d’un sens à donner ? ou de la catastrophe programmée après la mort des utopies ?