Enquête et réflexion sur le 4 novembre 1989

1. L’événement dans le contexte de la Wende et des bouleversements du bloc de l’Est
L’idée est ici de replacer le 4 novembre berlinois dans un processus de contestation « révolutionnaire » qui se déploie à plusieurs échelles temporelles, spatiales et sociales.
On resituera l’initiative dans ses divers contextes, de la contestation de l’autoritarisme dans le Bloc de l’Est (que signale la participation modeste d’un étudiant hongrois) à la dynamique proprement est-allemande de la « Révolution pacifique » : la première manifestation berlinoise autorisée par le pouvoir politique intervient après deux mois de manifestations dans les grandes villes de province, à Leipzig et Dresde notamment. Pour ne pas surestimer l’importance de l’événement berlinois, on le comparera aux manifestations qui se sont déroulées dans les semaines précédentes à Dresde, au cours desquelles des figures politiques ou artistiques locales ont régulièrement pris la parole.

2. Genèse du 4 novembre, dynamiques locales, profil des orateurs et du public
On tentera de retracer la genèse du dispositif (une manifestation suivie de prises de parole sur l’Alexanderplatz): organisation par les théâtres réunis de Berlin ; choix du parcours de la manifestation ; sélection des orateurs et négociations des modalités avec le SED ; rôle joué par les services de sécurité et la Stasi… On portera attention aux orateurs pressentis qui ont refusé de participer, ne sont pas venus ou ont été bloqués à la frontière (Wolf Biermann). On s’intéressera en bref aux coulisses de l’événement.
-On proposera une rapide sociographie des orateurs et oratrices : on a affaire à des membres de l’élite politique et artistique au profil berlinois et plutôt légitimiste, entre réformateurs récemment autoproclamés au sein du parti (« linientreue Dissidenten » selon S. Combe) et artistes consacrés, attachés à la RDA tout en ayant conservé une certaine liberté de parole (Christa Wolf, Heiner Müller). Quelques francs-tireurs et Bürgerrechtler (Jens Reich, Marianne Birthler). On sera attentif à la présence des femmes dans le groupe des orateurs (elles ne sont que 6 oratrices sur 26, mais elles semblent actives dans la conception et l’organisation).
-On tentera de resituer la manifestation dans l’histoire des prises de position artistiques en RDA afin de mieux comprendre ce qu’elle nous dit des reconfigurations en cours au sein du champ du pouvoir est-allemand (entre ses secteurs politiques et culturels, etc., comme à l’intérieur de chacun d’entre eux) dans la conjoncture plus ou moins « fluide » de la Wende.
-On cherchera à mieux cerner le public de la manifestation proprement dite et l’auditoire des discours tenus sur l’Alex. Le contexte berlinois est ici essentiel pour comprendre le haut niveau de participation malgré le souvenir récent de la répression du 6 octobre. On comparera la dynamique des mobilisations berlinoises à celle, plus ancienne, de Dresde.
-On s’intéressera autant au contenu des discours (articulation entre espace d’expérience et horizon d’attente, vœu d’une RDA socialiste et démocratisée) qu’à la matérialité de la manifestation (banderoles, slogans, réactions du public lors des discours oscillant entre sifflements, applaudissements), que l’enregistrement vidéo permet d’analyser. On resituera, éventuellement, le dispositif du 4 novembre dans une histoire sociale longue de la forme « manifestation » et dans celle, plus courte, des formes de mobilisation dans les révolutions de 1989 en Europe de l’Est.

3. Construction et postérité de l’ « événement »
-Première manifestation de masse autorisée, le 4 novembre fut aussi la première manifestation retransmise intégralement à télévision est-allemande : on cherchera à comprendre, en consultant les archives, comment cette décision sans précédent a été prise. Plus généralement, on examinera le rôle des médias dans la documentation en temps réel et la construction de l’événement.
-Ceci ouvre aussi sur la postérité et la mémoire, individuelle et collective de l’événement. Il semble que celui-ci a été assez structurant pour les « carrières » des orateur-trices pendant la Wende ; ils – elles lui accordent souvent, rétrospectivement une grande importance. Si, dans le souvenir collectif de la Wende, l’événement en cache sans doute d’autres (les manifestations moins médiatisées de la province), il semble lui-même relativement éclipsé par le 9-Novembre, qui occupe une place majeure dans le récit héroïque d’un Etat allemand valorisant la marche vers l’unification (biais qu’on retrouve peut-être aussi dans une certaine historiographie de la « friedliche Revolution »). Pour vérifier cette hypothèse, on se propose de retracer la place du 4/11/89 dans les commémorations successives de la Wende depuis l’unité.

4. Informations complémentaires
Le carnet de recherche hypothèses https://nslp.hypotheses.org propose une présentation détaillée du projet en allemand et en français. Celle-ci est accompagnée d’une bibliographie et d’un état des sources sur la manifestation du 4 novembre 1989 à Berlin-Est.